Martin Keller, en repensant à votre parcours au sein du groupe fenaco-LANDI, quels sont les moments ou éléments qui vous ont le plus marqué ?
Le dévouement et l’implication qui se ressentent à tous les niveaux de l’entreprise, ainsi que le respect mutuel dans nos relations. Autre événement marquant pour moi, la pandémie de coronavirus, durant laquelle nous avons été extrêmement performants et réactifs dans la résolution des problèmes. Enfin, le fait d’avoir été reconnu comme entreprise d’importance systémique, ce qui a suscité beaucoup de fierté parmi nos collaboratrices et collaborateurs.
Pourquoi considérez-vous que le moment est opportun pour un changement ?
Il est bon pour toute entreprise de renouveler sa direction de temps en temps et de recevoir ainsi de nouvelles impulsions. Avec Michael Feitknecht, nous avons trouvé le successeur idéal : il est profondément enraciné dans l’entreprise tout en étant animé par une forte volonté d’initier de nouveaux projets. Pour ma part, après plus de 25 ans dédiés à des responsabilités au niveau de la direction opérationnelle, je me réjouis d’assumer un rôle centré sur la direction stratégique.
Sous votre direction, fenaco a connu une forte croissance : le taux de fonds propres est passé de 40 % à plus de 65 %. Quels ont été les facteurs clés qui ont permis cette évolution positive ?
fenaco promeut des valeurs claires : notre coopérative est enracinée, fiable et engagée. De plus, nous avons une mission explicite : soutenir les agricultrices et agriculteurs dans le développement économique de leurs entreprises. Enfin, notre stratégie repose sur quatre domaines d’activité (Agro, Industrie alimentaire, Commerce de détail et Energie) qui constituent autant de repères solides. Ceux-ci nous ont donné la confiance nécessaire pour oser développer de nouveaux secteurs, conclure des partenariats et nous lancer à l’international.
Quelle est le rôle des collaboratrices et collaborateurs dans cette réussite ?
Nos collaboratrices et collaborateurs sont le facteur de succès le plus important ! Sans leur ouverture d’esprit, leur curiosité et leur volonté de s’améliorer sans cesse, cette évolution n’aurait pas été possible. Que ce soit l’agriculteur ou l’agricultrice qui achète des aliments UFA, la personne amatrice de jardinage qui choisit ses fleurs dans une LAN-DI, ou celle qui recharge son véhicule électrique chez Agrola – toutes et tous font confiance à nos collaboratrices et à collaborateurs.
Peu après votre prise de fonction, vous avez lancé une stratégie de durabilité à long terme. Etes-vous satisfait des résultats ?
Oui. Abordant le sujet de manière pragmatique et non idéologique, nous avons mis l’accent sur des leviers avec lesquels nous pouvions avoir un impact. En dix ans, nous avons augmenté notre produit net de plus de 20 %, tout en réduisant les émissions de CO 2 d’environ 30 % et en améliorant notre efficience énergétique de plus de 20 %. De plus aujourd’hui, près de 14 % de notre consommation d’électricité est assurée par l’énergie solaire issue de nos propres installations photovoltaïques.
Ces chiffres sont impressionnants.
Oui, tout à fait. Mais ils montrent aussi combien le chemin à parcourir reste long.
Parallèlement à la durabilité, vous avez fait de l’innovation un axe stratégique.
Les collaborations menées dans la recherche avec l’EPFZ, Agroscope, le FiBL et, plus récemment, la BFH-HAFL ont insufflé un nouvel esprit à l’entreprise : nous ne sommes plus uniquement une entité de production et de commerce, mais aussi un acteur du transfert technologique. La plateforme Innovagri en est un bel exemple : elle rend accessibles à de nombreuses exploitations des machines innovantes développées par des start-ups ainsi que d’autres outils et services offrant des solutions alternatives de protection des plantes.
Les propriétaires de fenaco sont les coopératives LANDI. Comment ces dernières ont-elles évolué ?
A l’instar de fenaco, les LANDI sont devenues plus grandes, professionnelles et efficientes, suivant également les mutations structurelles observées dans l’agriculture. Les principaux vecteurs de cette croissance ont été les domaines du commerce de détail et de l’énergie.
Il reste aujourd’hui 125 LANDI avec des activités commerciales, contre 220 à votre arrivée. Le groupe fenaco-LANDI ne risque-t-il pas de perdre sa proximité avec la clientèle ?
Sachant que le chiffre d’affaires moyen d’une LANDI est de 32 millions de francs, les LANDI restent des PME ancrées localement, où les gérantes et gérants connaissent personnellement leurs membres. Quoi qu’il en soit, le processus de concentration s’est ralenti ces dernières années – et c’est une bonne chose.
Martin Keller« A l’instar de fenaco, les LANDI sont devenues plus grandes, professionnelles et efficientes, suivant les mutations structurelles observées dans l’agriculture. »
En quoi est-ce le cas ?
fenaco, grâce à sa taille, assure des effets d’échelle et agit comme force motrice. Les LANDI, quant à elles, mettent en œuvre les stratégies de manière agile sur le terrain. Si les fusions se poursuivaient à grande échelle, ce partage efficace des rôles serait remis en question.
Dérèglement climatique, contraintes légales strictes, pression du marché : quelles sont les perspectives pour l’agriculture suisse ?
Le secteur de la production animale se porte bien, ce qui est encourageant. En revanche, la production végétale souffre des variations de rendement dues aux conditions météorologiques : globalement, la situation reste difficile. Je demeure cependant optimiste : la population reste fortement attachée à la production indigène. Les années de crises traversées ont en outre clairement démontré l’importance d’un taux d’autoapprovisionnement adéquat. Les nouvelles technologies, de même que les avancées dans les méthodes de production et les techniques de sélection, nous rapprochent progressivement de l’objectif de préserver la productivité agricole tout en limitant l’impact sur l’environnement.
Quel rôle joue la politique dans ce contexte ?
Il y a lieu de mettre en place un cadre politique permettant de réaliser les progrès visés. A cet égard, je considère le débat autour de la politique agricole 2030 (PA 2030) comme une opportunité. De même, il est indispensable de simplifier les tâches administratives des chefs d’exploitation pour leur permettre de passer plus de temps sur le terrain. C’est pourquoi, en collaboration avec Laveba et d’autres partenaires, fenaco a investi dans le gestionnaire numérique d’exploitation Barto.
Pour que les produits de l’agriculture suisse parviennent jusqu’aux consommatrices et consommateurs, la chaîne de valeur en aval doit également fonctionner. Comment se porte l’industrie alimentaire ?
Les volumes des ventes sont en hausse. Cependant, coincé entre la hausse des prix à la production et un commerce de détail très concurrentiel, ce secteur subit une forte pression économique. Nous devons ainsi poursuivre l’automatisation et la rationalisation, et mettre encore davantage en avant la plus-value des produits alimentaires suisses.
fenaco compte certes parmi les plus grands détaillants de Suisse, elle reste pourtant de taille modeste par rapport aux deux principaux acteurs du secteur. Quelle rôle les magasins Volg et LANDI jouent-ils dans la réalisation de la mission coopérative ?
En termes de produit net, nous ne faisons pas partie des géants du secteur. Cependant, la situation est différente dans nos segments de marché respectifs : dans le commerce de détail de proximité en milieu rural, Volg est clairement le numéro un ; dans le domaine de l’habitat et du jardin, les magasins LANDI figurent également parmi les leaders. Par ailleurs, notre assortiment contient une proportion de produits suisses nettement supérieure à la moyenne. De plus, grâce aux labels « Délices du village », « Naturellement de la ferme » et« Naturellement du vigneron », nos membres peuvent commercialiser directement les produits de leur ferme. Enfin, nous contribuons à créer des emplois dans les régions rurales suisses.
La dynamique mondiale de la transition énergétique semble actuellement ralentir. Qu’est-ce que cela implique pour fenaco, qui investit fortement dans la mobilité électrique et le photovoltaïque avec Agrola ?
Nous ne devrions pas changer de cap : le dérèglement climatique constitue un risque majeur pour l’humanité et un problème certain pour le secteur agroalimentaire. Avec Agrola, fenaco a choisi une stratégie double : répondre à la demande en carburants fossiles, qui reste importante, tout en développant son activité dans les énergies renouvelables. La première station-service hybride Agrola, à Wald (ZH), en témoigne : essence, diesel et bornes de recharge pour voitures électriques y sont réunis sous un même toit.
Y a-t-il quelque chose que vous auriez aimé encore accomplir au sein du groupe fenaco-LANDI avant votre départ, mais que vous devez désormais laisser à votre successeur ?
Deux choses me viennent à l’esprit. Premièrement, nous comptons aujourd’hui nettement plus de femmes à des postes de direction qu’il y a dix ans. Nous sommes sur la bonne voie, mais nous n’avons pas encore atteint notre objectif.
Et la deuxième chose ?
Nous avons beaucoup investi pour renforcer la compétitivité du vin suisse. Cependant, les résultats ne sont pas encore à la hauteur de nos attentes. La consommation de vin est en baisse, la pression exercée par les produits étrangers est forte, et la branche reste fragmentée. Nous continuons de croire fermement au potentiel du vin suisse ainsi qu’en notre stratégie. Cependant, les progrès ne sont pas aussi rapides que nous le souhaiterions.
Votre départ approche. En pensant à la période qui suivra votre dernier jour chez fenaco, de quoi vous ré-jouissez-vous tout particulièrement ?
Je me réjouis d’assumer mes nouveaux mandats, de passer plus de temps avec ma famille, et d’avoir l’occasion, en tant qu’ancien, de participer de temps à autre à un événement du groupe fenaco-LANDI.
Et que souhaitez-vous à fenaco ainsi qu’à l’agriculture suisse ?
Pour fenaco, je souhaite que la chaleur humaine et le respect mutuel continuent de caractériser la culture d’entreprise ; nous ne devrions pas nous laisser contaminer par le ton de plus en plus dur qui règne dans le monde. Quant à mon successeur, Michael Feitknecht, je lui souhaite de disposer de l’énergie et de la petite touche de chance nécessaires pour mener sa mission avec succès. S’agissant des agricultrices et agriculteurs, je leur souhaite beaucoup de joie et de succès dans leurs exploitations – et que leur travail précieux continue de recevoir la reconnaissance qu’il mérite.
Que fera Martin Keller à l’avenir ?
Martin Keller a rejoint fenaco société coopérative en 2010 et a été nommé président de la Direction en 2012. Il remettra ses fonctions à son successeur, Michael Feitknecht, le 1 er juillet 2025. Martin Keller entamera une nouvelle phase de sa carrière dans la gouvernance stratégique d’entreprises externes au groupe fenaco-LANDI, notamment en tant que membre du Conseil d’administration du groupe Securitas (dès juin 2024) et comme membre du Comité des actionnaires de Claas, une entreprise spécialisée dans le machinisme agricole (dès juillet 2025). Il est en outre nommé au Conseil d’administration de BKW (dès avril 2026).