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Production végétale

Esparcette : belle mais exigeante

Tolérante à la sécheresse, l’esparcette apporte structure et tanins. Elle met cependant les producteurs·trices au défi, car elle supporte mal la pâture, se révèle peu compétitive et reste délicate à implanter. Ceux qui en connaissent les limites savent en tirer pleinement parti. Pour les autres, elle demeure une culture séduisante, mais exigeante.

Les fleurs de la sainfoin mesurent de 10 à 14 millimètres, sont d’un rouge clair avec des stries foncées et sont regroupées en longues grappes dressées...

Les fleurs de la sainfoin mesurent de 10 à 14 millimètres, sont d’un rouge clair avec des stries foncées et sont regroupées en longues grappes dressées et en épis.

(Pixabay)

Publié le

Rédactrice Revue UFA

En bref

– L’esparcette a besoin d’un emplacement ensoleillé et peu concurrentiel ainsi que d’un sol maigre et calcaire.

– Ses métabolites secondaires agissent contre les parasites gastriques et intestinaux des ruminants.

– Ce n’est pas la quantité de tanins qui est déterminante, mais leur type et leur structure moléculaire.

Il y a environ 250 ans, le naturaliste suisse Albrecht von Haller se déclarait émerveillé, dans une lettre, devant des collines pourpres couvertes d’esparcette. Cette légumineuse à fleurs rose foncé (Onobrychis viciifolia) est rapidement devenue le symbole d’une nouvelle ère : pour la première fois, des plantes fourragères étaient utilisées de manière ciblée pour améliorer les sols et nourrir les animaux. L’esparcette est probablement originaire du Moyen-Orient et d’Asie centrale. Au XVIII e siècle, c’était la légumineuse fourragère la plus répandue en France. Son autre nom « sainfoin » (pour « foin sain ») et son nom grec « Onobrychis » (« brouté par les ânes ») reflètent ses atouts.

A l’ombre de la luzerne

Sur le plan botanique, on distingue un type monocoupe à rosette et un type multicoupe dressé – les variétés modernes combinent les deux. Celles-ci atteignent 80 cm à la floraison. Seules 20 variétés sont enregistrées dans l’UE, contre 220 pour la luzerne. Cette situation s’explique notamment par la faible demande et la génétique complexe : l’esparcette est tétraploïde et, contrairement à ce qu’indiquait la littérature antérieure, elle est en partie autogame, favorisant la dépression de consanguinité. De plus, les grosses graines restent dans les gousses, ce qui complique la production de semences. L’esparcette a ainsi fait l’objet de peu de travaux de sélection dans le passé.

La sélection de l’esparcette est complexe et coûteuse

C’est ce que souligne Michelle Nay, sélectionneuse de plantes fourragères et phytopathologiste chez Agroscope à Zurich : « Nos variétés sont en majorité des écotypes qui n’ont été sélectionnés qu’à petite échelle dans le jardin ad hoc. Cependant, la concurrence étant plutôt faible pour l’esparcette, les perspectives de réussite lors de l’examen variétal sont d’autant plus grandes, voire presque garanties. Nous pouvons donc commercialiser de nouvelles variétés à moindre effort. » Dans un projet commun, Agroscope et l’EPFZ analysent le rendement des semences, la teneur en tanins et la diversité génétique de diverses variétés et espèces apparentées d’Onobrychis.

L’esparcette aime les sols maigres

Etant une légumineuse, l’esparcette fixe l’azote atmosphérique grâce aux rhizobiums (bactéries des nodosités) et enrichit ainsi la rotation des cultures. Malgré ces atouts, elle reste une culture de niche. C’est que sa mise en place nécessite beaucoup de soin : le lit de semence doit être exempt d’adventices, car les espèces très concurrentielles supplantent vite les jeunes plants. De plus, l’utilisation d’herbicides en post-levée n’est pas envisageable, car la tolérance au glyphosate n’a pas été confirmée. Le semis a lieu idéalement au printemps (avril-mai) sur des sols calcaires et bien drainés. Aimant le soleil, la sécheresse et les sols maigres, l’esparcette supporte mal l’humidité stagnante ou les sols lourds.

Mike Bauert (service externe et Marketing chez Semences UFA) conseille : « Le semis après l’avoine a fait ses preuves, laissant à l’esparcette du temps pour bien s’implanter : il est crucial que les plantes soient assez développées avant l’hiver. Il ne faut donc jamais les faucher juste avant, car cela accroît le risque de dégâts, voire de mortalité hivernale. Deux à trois coupes au maximum sont possibles, à une hauteur de coupe modérée. De plus, il faut commander les semences tôt, car la disponibilité est limitée. »

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L’esparcette, qui fleurit en général de mai à juillet, est très appréciée des abeilles et des bourdons qui viennent alors la butiner. 

(Mike Bauert)

Robuste, mais peu concurrentielle

Grâce à ses métabolites secondaires, l’esparcette est rarement atteinte par des maladies, un atout lié aux tanins et aux polyphénols, qui exercent un effet antimicrobien. Les agents pathogènes connus tels que la rouille du sainfoin (Uromyces onobrychidis) ou la sclérotiniose (Sclerotinia trifoliorum) font parfois exception. Si l’esparcette est globalement plus robuste que la luzerne, sa persistance est limitée : une utilisation fréquente, des sols humides ou le gel lui sont néfastes. De plus, dans les conditions qui prévalent en Suisse, les semis purs sont souvent fortement envahis par les adventices après une année. Enfin, l’esparcette a une faible capacité de concurrence dans les jeunes stades, rendant les semis mixtes difficiles. En particulier, elle a du mal à s’imposer face au trèfle blanc ou au ray-grass italien, fonctionnant mieux avec des espèces telles que la fétuque des prés ou la fléole.

Un fourrage fonctionnel

Avec une teneur en protéines brutes de 13 % à 18 % et environ 25 % de cellulose brute dans la MS, l’esparcette fournit un fourrage riche en structure et de grande qualité. Mais son véritable atout, ce sont ses tanins condensés : des études montrent des effets antiparasitaires, par exemple contre les parasites intestinaux chez les ruminants et les lapins. Cependant, ce n’est pas seulement la teneur en tanins qui est déterminante, mais aussi le rapport entre types de tanins et degré de polymérisation (nombre de molécules liées) de ceuxci. En particulier, des quantités trop élevées peuvent inhiber la fermentation dans la panse et nuire à la digestibilité, en particulier chez les animaux à haut rendement.

L’esparcette supporte mal la pâture ; en revanche, elle est bien adaptée à la production de foin, d’ensilage ou de granulés, même si elle est sensible aux pertes par effritement lors du séchage. Les ruminants (bovins, ovins, caprins) et les lapins apprécient l’esparcette. Dans leur alimentation, cette plante complète judicieusement les rations riches en énergie par son apport en fibres structurantes et en protéines. Par ailleurs, grâce à sa faible teneur en sucre et en amidon ainsi qu’à ses tanins qui agissent dans l’intestin, elle convient également aux chevaux, notamment en cas de sensibilité digestive ou métabolique.

Une plante de niche à fort potentiel

L’esparcette revient également sur le devant de la scène dans le contexte du dérèglement climatique : elle réduit les pertes d’azote par l’urine, diminue les émissions de méthane et permet une utilisation plus efficiente des nutriments. Ce bénéfice s’explique par le fait qu’avec cette plante, l’azote n’est plus excrété sous une forme volatile, mais sous une forme plus stable dans les fèces, ce qui est favorable à l’environnement et aux sols. Par ailleurs, lors d’essais in vitro, la production de méthane a pu être considérablement réduite dans les ensilages mixtes contenant de l’esparcette. Cependant, l’ampleur de cette diminution dépend de la variété et du moment de la coupe. Or, pour obtenir des résultats fiables sur ces effets, une analyse différenciée des tanins est indispensable, qui s’avère onéreuse. Concrètement, il est donc difficile de se prononcer sur l’intensité de l’effet souhaité.

L’esparcette réduit les pertes d’azote via l’urine

L’esparcette est un exemple emblématique d’une plante cultivée tombée dans l’oubli, qui conjugue qualités anciennes et opportunités nouvelles. Elle allie qualité nutritive et bénéfices pour l’environnement. Elle est toutefois très exigeante quant aux caractéristiques que doit présenter un site, la conduite de la culture et la disponibilité des semences. Cependant, lorsque ces exigences sont respectées, elle devient une légumineuse polyvalente et résiliente face aux aléas climatiques. Si l’esparcette n’est pas (encore) adaptée à la culture de masse, elle est précieuse dans certains systèmes, en particulier dans l’agriculture biologique. Elle est du reste déjà très recherchée, comme le confirme Lucia Kernen, responsable du commerce et de la logistique des fourrages grossiers chez fenaco GOF : « Qu’elle soit biologique ou conventionnelle, nous avons besoin d’esparcette produite en Suisse. » 

Plus d'informations sur l'esparcette

Agroscope - L’esparcette, une plante fourragère aux multiples avantages

eAGFF - Esparcette Portrait

eAGFF - Mélanges à base d’esparcette et de graminées

Growers Guide - Conseils de culture et expérience d'un agriculteur anglais (seulement en anglais)

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