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Production végétale

Entretien avec Dario Fossati: « Chaque variété connaît des années plus ou moins fastes »

Tout a commencé avec la variété Piotta : avec elle, le sélectionneur Dario Fossati a découvert que le choix du moment opportun est un facteur déterminant de succès – et que la qualité, la praticité et le courage d’emprunter de nouvelles voies caractérisent la sélection céréalière suisse.

En sa qualité de sélectionneur, Dario Fossati connaît l’importance de la patience et d’une planification réalisée longtemps à l’avance. 

En sa qualité de sélectionneur, Dario Fossati connaît l’importance de la patience et d’une planification réalisée longtemps à l’avance. 

(màd)

Publié le

Assistante PM Céréales, Semences UFA

Dario Fossati a été sélectionneur de céréales chez Agroscope et a contribué à façonner la sélection végétale suisse pendant quatre décennies. Il revient ici sur son parcours et nous fournit un aperçu des difficultés actuelles et des objectifs futurs en matière de sélection.

De quoi êtes-vous particulièrement fier dans votre carrière de sélectionneur de céréales ?

Dario Fossati :Je suis particulièrement fier de l’homologation de ma première variété, « Piotta ». Elle n’a pas remporté un franc succès sur le marché, mais cette expérience fut importante et m’a montré que le moment du lancement commercial est tout aussi déterminant que la variété elle-même. Je suis également très fier du blé Zinal : j’ai participé à toutes les étapes, du croisement à l’introduction. Il s’agissait de la première variété de qualité supérieure à l’Arina. Qu’elle devienne une variété de premier plan a été une grande victoire pour moi.

Comment la sélection tient-elle compte des préoccupations des producteurs ?

Les nouvelles variétés ne peuvent s’imposer que si elles sont acceptées par les agricultrices et les agriculteurs. C’est pourquoi j’ai régulièrement recherché le dialogue et obtenu des retours précieux, par exemple sur la longueur de la paille : au début, je sélectionnais des variétés produisant peu de paille, mais les producteurs en voulaient davantage, car il s’agit pour eux d’une source de revenus supplémentaire. Nous avons donc décidé de nous concentrer davantage sur la paille.

Quelles sont les caractéristiques particulièrement recherchées chez les nouvelles variétés de blé ?

Les nouvelles variétés doivent offrir une meilleure stabilité et une plus grande résistance au stress abiotique1. Il existe déjà des lignées résistantes à la germination sur pied, même si elles sont encore peu nombreuses. J’ai toujours accordé de l’importance à la valeur nutritive, essentielle pour l’industrie de la farine et de la boulangerie. En dépit de coûts élevés, nous avons pu nous démarquer à l’étranger grâce à la qualité. Mon approche : créer des variétés à haute valeur nutritive permettant à la Suisse de se démarquer. Des croisements avec du blé BNI2 sont en cours de création. Une intégration réussie de ceux-ci pourrait permettre de réduire jusqu’à 30 % les pertes d’azote. Cela reste cependant à confirmer dans la pratique.

En quoi une diversité croissante des variétés est-elle importante ?

Chaque variété connaît des années plus ou moins fastes. La diversité est nécessaire pour compenser les fluctuations. Autrefois, cinq variétés dominaient la quasi-totalité du marché. Actuellement, elles n’en représentent plus que 50 % environ. De nouvelles variétés apparaissent en permanence, d’autres disparaissent. Cette grande diversité pose cependant des problèmes de multiplication des semences : de nombreuses petites variétés sont difficiles à multiplier de façon rentable. Pour plus d’efficience, il faudrait en réalité moins de variétés dans chaque catégorie.

Dario Fossati, ancien sélectionneur de céréales chez Agroscope, Changins

« J’ai toujours accordé de l’importance à la valeur nutritive, essentielle pour l’industrie de la farine et de la boulangerie. »

 

Quel rôle jouent les variétés anciennes dans la sélection ?

Les variétés anciennes constituent des ressources génétiques précieuses, mais elles ne doivent pas être idéalisées. De nombreux gènes ont déjà eu leur chance. L’évolution des conditions du marché et du climat peut cependant leur conférer une nouvelle importance. Les variétés de blé initiales sont passionnantes : le blé se compose de trois génomes, dont l’un n’a presque jamais été utilisé jusqu’ici. Les rétrocroisements avec des formes sauvages ont révélé que celles-ci possèdent des gènes inutilisés, p. ex. pour la résistance à la sécheresse ou aux maladies.

Quelles différences entre les variétés actuelles et les « anciennes » ?

Les variétés anciennes se caractérisaient par une taille longue et une maturité tardive. Les variétés récentes sont nettement mieux adaptées au climat. Certains misent sur des variétés anciennes parce qu’elles ont donné de bons résultats sur un site précis autrefois, mais avec le dérèglement climatique, il n’y a plus aucune garantie. Le PurEpeautre en est un bon exemple : après les années 1950 à 1970, seules les variétés Oberkulmer et Ostro ont dominé le marché. Au début, les rendements de l’épeautre (non décortiqué) atteignaient un niveau équivalent à celui du blé, mais ils ont progressivement chuté, car ces variétés n’étaient plus adaptées au climat.

Quels seront les objectifs prioritaires en matière de cultures dans les quinze années à venir ?

Les priorités restent la qualité nutritive et les maladies, qui évoluent comme les variétés. La réapparition récente de la rouille noire fait actuellement l’objet d’une attention accrue. Sans constituer un problème majeur pour le moment, elle représente néanmoins un risque. La législation aussi a une incidence, par exemple l’interdiction des désinfectants de semences : les maladies transmises par les semences regagneraient en importance, même si les résistances sont difficiles à sélectionner et souvent peu efficaces. Un processus de sélection dure dix à quinze ans. Il est donc essentiel d’anticiper au plus tôt les évolutions futures.

Que dire du rôle du génie génétique dans la sélection végétale ?

A mon sens, le génie génétique est un outil important avec de nombreux avantages. Chaque plant de blé présente 80 à 100 mutations naturelles par grain. Rapporté à un hectare, cela équivaut à autant que l’ensemble du génome du blé. Je ne peux donc pas croire qu’une seule mutation provoquée artificiellement soit réellement dangereuse. Je considère le système CRISPR / Cas3 comme particulièrement sûr, car il permet de déterminer exactement quel gène a été modifié et où.

Que souhaitez-vous pour l’avenir de la sélection céréalière suisse ?

Je souhaite que la prochaine génération ait recours à tous les nouveaux outils de sélection et parvienne à maintenir la part de marché élevée des variétés suisses. Il est important d’oser intégrer de nouvelles approches dans la planification à long terme, notamment pour ce qui est de la valeur nutritive ou du blé BNI. Notre force réside dans notre capacité à préserver et à développer les spécificités. C’est la condition sine qua non pour maintenir la compétitivité internationale de la Suisse. 

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Quels ont été les moments les plus marquants pour vous dans votre carrière de sélectionneur de céréales ?

Ma première saison en tant que sélectionneur restera inoubliable. Je me posais beaucoup de questions : suis-je compétent ? Est-ce que j’aime travailler dans les structures de sélection ? Est-ce que je fais le bon choix ? La première sélection n’est pas facile, car il faut décider avec quelles plantes on va continuer à travailler. J’ai eu la chance de traverser cette période avec mon oncle, qui était alors sélectionneur de triticale. Il m’a donné de nombreux conseils précieux, mais m’a toujours laissé la possibilité de faire mes propres expériences.

Comment avez-vous concilié les objectifs divergents que peuvent être le rendement et la qualité ?

En Suisse, le marché est déterminant : la qualité est récompensée par des paiements à la protéine. Le défi consiste à atteindre cette qualité sans trop grandes pertes de rendement. La clé réside dans la mesure de la qualité plutôt que de la quantité de protéines. Cela permet d’obtenir le même volume de pain avec une meilleure qualité protéique, ce qui est précisément l’objectif de nos sélections.

Quel rôle joue le dérèglement climatique dans l’avenir de la sélection de céréales ?

Les variétés ont toujours dû être adaptées au climat local. Pour le blé Piotta, il s’est avéré que les sites précoces offraient des rendements supérieurs, tandis que pour la variété Zinal, le facteur de succès déterminant est un climat chaud : une lignée a pu être créée en Suisse romande, mais pas en Suisse orientale. La météo est désormais plus imprévisible, et la génétique ne peut rien contre certains risques comme la grêle. Les mélanges de variétés offrent des opportunités : ils améliorent la résistance, la qualité et peuvent également atténuer le stress abiotique.

Quel rôle joue le dérèglement climatique dans l’avenir de la sélection de céréales ?

Les variétés ont toujours dû être adaptées au climat local. Pour le blé Piotta, il s’est avéré que les sites précoces offraient des rendements supérieurs, tandis que pour la variété Zinal, le facteur de succès déterminant est un climat chaud : une lignée a pu être créée en Suisse romande, mais pas en Suisse orientale. La météo est désormais plus imprévisible, et la génétique ne peut rien contre certains risques comme la grêle. Les mélanges de variétés offrent des opportunités : ils améliorent la résistance, la qualité et peuvent également atténuer le stress abiotique.

Quelle est l’importance de la coopération internationale dans la sélection de nouvelles variétés de céréales ?

La sélection végétale est très internationalisée, notamment pour le blé, pour lequel les échanges sont traditionnellement ouverts. Avant, un simple fax suffisait pour obtenir des matières. La règle de base est que toute variété peut être utilisée pour des croisements. J’ai souvent partagé mes meilleures lignées non enregistrées.

Aucune variété n’est adaptée partout dans le monde, et chaque sélectionneur poursuit ses propres objectifs. Ces échanges sont donc indispensables. Aujourd’hui, les grandes entreprises compliquent l’accès par des licences et des restrictions, avec parfois des expériences négatives à la clé. Les conférences internationales conservent cependant leur importance pour le partage de matériel et d’idées.

A partir de quand considérez-vous qu’une sélection est réussie ?

L’enregistrement d’une variété est toujours très gratifiant. Personnellement, je considère qu’une variété n’est une réussite que lorsqu’elle permet de conquérir des parts de marché et apporte une spécificité. La variété Molinera, par exemple, n’a pas remporté un franc succès en termes quantitatifs, mais a établi de nouvelles normes en matière de qualité. Je considère aussi avoir réussi quand d’autres sélectionneurs utilisent mes variétés comme lignées parentales, même si elles n’ont pas rencontré un réel succès sur le marché à titre individuel.

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Parts de marché des variétés de blé de 1925 à 2024

(Semences UFA/Revue UFA)

Variétés de blé à succès

Le sélectionneur retraité Dario Fossati a développé de nombreuses variétés de blé connues :
–Zinal 
– Rosatch 
– CH Nara 
– Montalbano 
– Molinera 
– Hanswin 
– Poncione 
– Vanilnoir

1Stress abiotique : stress d’une plante provoqué par des intempéries

2Blé BNI : variété de blé produisant des exsudats racinaires à inhibition biologique de la nitrification (BNI, de l’anglais biological nitrification inhibition), qui freinent la nitrification et réduisent les pertes d’azote.

3CRISPR / Cas : ciseaux moléculaires permettant d’extraire, de remplacer ou de désactiver des séquences d’ADN.

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